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x retour page principale article précédent <--------- > article suivant Contacts avec l'Islam La consécration de ma vie à la rencontre avec l'islam ne s'est pas présentée commune vocation de toujours. En fait, mes premiers contacts avec l'islam datent de mon service militaire en Algérie où je suis allé pendant la guerre comme le faisaient à l'époque tous les jeunes Français. J'ai eu l'occasion de servir comme officier des Affaires Algériennes, ceux que l’on appelait les ‘képis bleus’. Il s'agissait, dans les zones troublées par la guerre, d'administrer les villages, ce que l'organisation civile ne pouvait pas faire. Ce premier contact avec le monde maghrébin m'a incité à apprendre les premiers rudiments du dialecte algérien. Ensuite j'ai toujours gardé un goût profond pour les différents dialectes des pays où j'ai eu l'occasion d'aller. A la fin de mon service militaire, après un bref passage au séminaire diocésain de Paris, je suis entré dans la congrégation des Pères Blancs (Missionnaires d'Afrique). Il se trouve qu’au moment de l'engagement définitif, on nous demande dans quel type de mission nous aimerions servir. J'ai dit à l'époque que je n'étais pas allergique à aller dans un pays musulman. Donc après mon ordination sacerdotale, je fus nommé pour la Tunisie, et, tout naturellement, j’ai été envoyé à l'institut pontifical d'études arabes et islamiques (PISAI) qui était confié aux Pères Blancs et venait depuis peu de s'installer à Rome. Je dois dire que le PISAI a joué un rôle essentiel dans mon engagement à la rencontre avec l’islam. L'enseignement y était très sérieux. Il était basé sur la langue arabe, considérée, selon une expression consacrée, comme « la voie royale » pour pénétrer dans le monde de l'islam. Sous l'égide du père Maurice Borrmans, j'ai donc suivi une étude approfondie de la langue arabe s'appuyant sur la logique propre des grammairiens arabes. Bien qu’étant de formation plutôt scientifique et mathématique, je me suis découvert un goût profond pour cette langue sémitique et sa propre façon de penser. Je n'ai jamais regretté cet investissement à mon sens essentiel dans la langue arabe et je considère qu’effectivement, il est indispensable de passer par là pour une connaissance sérieuse de l'islam. L'islamologie était dispensée par des professeurs très compétents. Je songe en particulier au père Robert Caspar, qui m'a beaucoup marqué par son enseignement, lui-même très influencé par Massignon et Louis Gardet. Il enseignait la théologie musulmane et le soufisme. Ce que j’ai particulièrement apprécié, c’est qu’il présentait l’islam de telle façon qu’un musulman puisse s’y reconnaître. Quelques professeurs musulmans venaient agrémenter l'ensemble, surtout à partir de la Tunisie. Je dois reconnaître que je me suis lancé à corps perdu dans cette étude. Je considère que l'institut m'a aidé à prendre l'islam au sérieux : en particulier la très bonne bibliothèque nous a permis de nous rendre compte de tout l’héritage littéraire, théologique, spirituel de 13 siècles de tradition musulmane. En principe, le séjour à l'institut dure trois ans, mais on m'a laissé partir pour faire une troisième année à Damas en Syrie pour profiter d'une bourse que j'avais obtenue par le gouvernement français. Cette année à Damas fut pour moi extrêmement intéressante. J'étais auditeur libre à la faculté des lettres et également à la faculté de droit musulman (sharî‘a wa usûl al-dîn). En fait, mes contacts avec l'université ont été avant tout folkloriques car au fond l'essentiel de mon apprentissage de l'arabe se faisait par les leçons particulières. J'ai profité de ce séjour à Damas pour visiter une bonne partie du Moyen-Orient : Jordanie, Irak, Bahrayn et bien sûr le Liban où je me rendais souvent. J'ai énormément apprécié cette année dans une Syrie encore très provinciale ou très peu d'étrangers étaient admis, car nous étions en 1969, deux ans seulement après la guerre des Six Jours. J'avais l'habitude d'aller régulièrement rencontrer l’imam d'une mosquée, lequel, avec beaucoup de gentillesse, me faisait des commentaires sur le Coran. J'ai beaucoup goûté la liberté de contact qui régnait en Syrie à l’époque, la possibilité d'entrer dans les mosquées puisque la Syrie suit le rite hanafite plus libéral. Et bien sûr j'ai eu des contacts très attachants avec le monde arabe chrétien, malgré toutes les divisions qu’on y trouve et qui affaiblissent le témoignage de Jésus-Christ. En fin 69, j’ai atterri en Tunisie, à l’IBLA (Institut des Belles Lettres Arabes), qui était déjà héritière une longue tradition de présence dans le monde culturel de Tunis. Ayant une formation d'ingénieur, - j'étais en effet ce qu’on appelle une vocation tardive ayant fait le diplôme de l’Ecole Polytechnique de Paris -, j'ai travaillé pendant trois années à la compagnie d'électricité de Tunis, la STEG, dans le secteur informatique. L'islam comme tel faisait peu surface dans les conversations avec mes collègues ingénieurs, mais j'ai fait beaucoup de rencontres et noué d'excellents contacts. Cependant, j'ai eu le sentiment que l'islam maghrébin, au regard de celui que j’avais connu à Damas, me paraissait un peu plus étriqué, éloigné des sources du monde arabe et de l'islam. J’avais parfois l’impression que mes collègues faisaient mal la synthèse entre une formation scientifique occidentale d’ingénieur et un subconscient musulman peu nourri intellectuellement. En 1972 je fus appelé à accompagner un groupe de religieuses infirmières pour faire une fondation au Yémen, à la capitale Sanaa. L'expérience yéménite qui a duré huit ans a été déterminante pour entrer plus en profondeur dans le monde de l'islam. Au cours de cette huit années, j'ai eu la chance de partager l’hospitalité d'une petite famille yéménite toute simple : je considère comme un grand privilège de ma vie d'avoir pu vivre ainsi au contact quotidien d’une famille du tiers-monde. On y vivait un islam tranquille, sans étroitesse particulière ; j'ai pu partager tous les événements d'une famille : les naissances, les circoncisions, les mariages, les décès et même le départ au Hajj de mon propriétaire et les festivités qui ont accompagné son retour. Comme précédemment en Tunisie, je travaillais à la compagnie d'électricité où j'étais chargé de tous les problèmes de formation et où peu à peu j’ai été amené à construire un centre de formation en lien avec la coopération française. À travers le personnel de la compagnie, j'ai eu énormément de contacts en tous genres. Et je garde une grande reconnaissance en particulier pour un comptable de la compagnie qui appartenait à une grande famille de Sayyids et qui m'a initié au zaydisme, un islam que l’on trouve seulement au Nord-Yémen. J'ai eu beaucoup de satisfaction à explorer le zaydisme, cette branche de l'islam considérée comme chi’ite, bien qu’elle le soit fort peu, et qui n’était presque pas connue à l’époque. Le zaydisme du Yémen est à cent lieues du wahhabisme puritain de son grand voisin. Bien sûr il y avait un certain exotisme dans le goût que j'éprouvais pour vivre au Yémen, un pays qui était resté fermé aux influences occidentales. Mais je sentais que les Yéménites étaient bien dans leur peau : n'ayant pas été colonisés (sauf brièvement par les Turcs), il n'y avait pas de contentieux avec les chrétiens, qu’ils ne connaissaient qu’à travers le Coran. Cela n’était pas le cas en Afrique de Nord où la présence coloniale avait laissé dans les cœurs des blessures profondes et durables. En Tunisie, on continuait à me parler du congrès eucharistique de Carthage en 1930 où les jeunes des écoles avaient défilé habillés en croisés. En 1980 je fus nommé à l'institut pontifical d'études arabes et islamiques. C'est peu dire que je regrettais le Yémen, ses montagnes, la vie quotidienne, toutes les amitiés que j’y avais liées. Mais j'avais l’avantage de retrouver une ascèse intellectuelle, une bonne bibliothèque, des habitudes de travail en profondeur. J'ai été amené bien sûr à enseigner l'arabe et diverses sciences islamologiques. J'ai développé une certaine spécialisation sur le hadith, même si en fin de compte, je suis resté essentiellement un « généraliste ». De fait auparavant je n'avais jamais eu de formation précise au-delà de l'enseignement de base du PISAI. J’avais également la charge d'une revue intitulée Etudes Arabes qui produisait un certain nombre de dossiers bilingues français-arabe sur des thèmes importants : les Frères Musulmans, le wahhabisme, le ba‘th, l’application de la sharî‘a, le tawhid, etc…qui demandaient une bonne collaboration du corps professoral. Le PISAI restait conditionné par son origine maghrébine, et ce n’est pas sans un certain essoufflement qu’il fallait se mettre à l’anglophonie (sans parler de l’italien !) et prendre la mesure de l’islam mondial. Si, au cours du premier séjour à l'institut, j'avais été fasciné par la nouveauté de ce que je j'apprenais, je dois reconnaître avec du recul que j’avais été peut-être un peu trop pris par la nouveauté pour développer un véritable esprit critique. Dans ce second séjour, je découvrais un certain nombre de limites dans cette religion qui m'avait énormément intéressé. Je constatais le caractère pseudo-scientifique de certaines sciences coraniques, comme par exemple l’étude de la transmission du hadith ou l’histoire de la composition du Coran. À l'époque on était déjà confronté avec la montée de l'islamisme. Ceci fait que dans les diverses interventions, que ce soit dans les séminaires, les colloques, les conversations particulières, on était toujours ramené à l'aspect sociologique, voire politique, de l'islam alors qu'au fond je voulais rester centré essentiellement sur l'islam comme religion, je pourrais même dire comme foi. Cette tension ne m'a jamais quitté, dans les rencontres comme dans les colloques. En schématisant, je pourrais dire que partant d’une foi, je me trouvais en face d'une religion, et même de tout un système social. Je reviendrai plus tard sur cette difficulté, sur ce déséquilibre qui m'a toujours fait souffrir. De 1986 à 1992, j’ai été choisi comme supérieur général de la congrégation des Pères Blancs. Ainsi, pendant six ans, j'ai dû prendre mon bâton de pèlerin pour me rendre dans la plupart des pays d'Afrique et un certain nombre d'autres pays du Vieux comme du Nouveau Monde. Durant cette période j'ai eu assez peu de contacts avec l'islam. En fait, je dois reconnaître que cette distance était bienvenue. En toute honnêteté, je souffrais peut-être d’une légère overdose d'islam. Après cette période humainement et spirituellement très riche, je suis reparti pour deux ans en Tunisie à la direction de l’IBLA. Là, dès mon arrivée, il m'a été donné d'apprécier la fidélité en amitié de relations que je m'étais faites au cours de mon premier séjour et avec lesquelles, vingt ans après, je pouvais reprendre la conversation là où je l'avais laissée. J’ai acquis la conviction qu’une grande partie du dialogue islamo-chrétien se fait à travers la relation d’amitié et la durée qu’elle implique. Il faut durer pour porter du fruit. Je notais aussi à travers les étudiants qui fréquentaient l'institut, un intérêt nouveau pour le christianisme, un besoin de sortir des schémas pré-établis. Il y avait là une possibilité nouvelle d’échanges bien prometteurs sur la Trinité, le Concile Vatican II, la doctrine sociale de l’Eglise… Mais voilà qu'en 1994, j'ai été rappelé à Rome pour prendre la direction du PISAI. Au delà des incontournables tâches administratives, je pouvais quand même explorer d'autres domaines, en particulier j'ai développé un intérêt marqué pour le chi’isme. Au cours de cette période, j'ai recruté pour deux ans un professeur libyen, Aref Nayed, qui avait un doctorat en philosophie et une connaissance très approfondie de l’islam, en particulier dans sa composante soufie. Je garde un grand souvenir des échanges que j’ai pu avoir avec lui au cours de ces deux ans. En l'an 2000, libéré de mes tâches au PISAI, je m'embarquais pour l'île de Pemba, une des deux îles de l'archipel de Zanzibar. (J'ignorais avant d'aller là-bas que Zanzibar comportait deux îles et non une seule). Là il m'était donné de découvrir un autre mode d'islam. Mais cette île de Pemba ressemblait au fond à un vaste couvent : N’ayant rien à faire à longueur de journée, car l’activité économique était très réduite, tout le monde se rendait à la prière en rangs serrés, tout le monde faisait ramadan. Il était relativement difficile de s'insérer dans ce nouveau paysage. S'ajoutait pour moi la frustration de la langue : il s'agissait de la langue swahilie dont j'ai dû faire en quelques mois l’apprentissage douloureux pour mes cheveux déjà blancs. Heureusement, les quelque 30 % de vocabulaire arabe de cette langue m'ont aidé à faire quelques petits progrès, bien vite oubliés. Mais l'expérience fut de courte durée car dès le milieu de l'année 2001 on m’appelait au Soudan pour prendre a direction d’une petite institution qui portait le charmant nom de CLIK (Catholic Language Institute of Khartoum). Là, j'ai retrouvé l'enseignement de la langue arabe de deux façons: le matin je devais enseigner l'arabe littéraire à des Soudanais venant du Sud où ils avaient reçu une formation en anglais, ce qui leur causait des difficultés pour fonctionner à Khartoum où tout le monde parlait arabe. L'après-midi, au contraire, il s'agissait d’enseigner des rudiments de dialecte soudanais à des volontaires tels que Médecins sans Frontières, Action contre la Faim, etc…dont beaucoup se rendaient ensuite au Darfour. J’étais également appelé à organiser des cycles de conférences, essentiellement sur l’islam dans ses composantes soudanaises. Dans ce Soudan si attachant, les confréries jouaient un rôle considérable et elles m'ont donné l'occasion de nombreux contacts. J'ai eu vraiment le sentiment que les possibilités de rencontre interreligieuse étaient plus faciles qu’en Afrique du Nord où j'avais séjourné assez longuement. J'ai été assez fasciné par la personnalité de Mahmud Mohamed Taha, ce vieux sage appelé le ‘Gandhi soudanais’, qui avait été exécuté à l’âge de 77 ans en 1985 par le président Numeiri car il s’était prononcé ouvertement contre l’application de la sharî‘a ; j’ai eu l’occasion de retrouver dans sa famille et chez ses disciples le souvenir vivant qu’il avait laissé. Après un nouveau passage de deux ans au PISAI comme directeur des études, me voici depuis quelques mois à Marseille. Notre communauté est située dans les quartiers nord de la ville : dans un premier temps j'essaye de reprendre vraiment contact avec l'islam de la base et c'est à dessein que je me suis pour un temps tenu à distance de l'enseignement. Pour reprendre ce contact, je cultive deux types d'activités : tout d'abord je suis écrivain public dans un bureau de poste dans un quartier à dominance musulmane (Maghreb et Comores). De plus, je donne des cours d'alphabétisation à des femmes maghrébines dans un centre social de notre quartier. Après ce rapide survol chronologique est très largement autobiographique, j'aimerais revenir sur certains aspects de ma relation avec l'islam. Je commencerai par parler du dialogue officiel. Etienne Renaud | ||||