In memoriam Etienne RENAUD


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témoignage de Marie Carrelet-Baltzinger

Étienne,

En ces temps de carême tellement troublés, je me m’interroge - comme souvent quand quelque chose m’arrive et me laisse perplexe - sur ce que tu en aurais pensé, et ce que tu en aurais dit. Dans un livre de témoignage que j’ai lu dernièrement, il est écrit que quand un musulman te demandait pourquoi tu ne te convertissais pas à l’Islam, tu lui répondais « Je suis dans la religion de ma mère ». Moi, pendant longtemps, j’ai cru que Étienne et Chrétienne étaient des mots sémantiquement apparentés. Si on me le demande, je suis dans la religion d’Étienne. Tu m’as dit plusieurs fois que tu appréciais chez moi, ma « pudeur masculine ». Je n’ai jamais vraiment compris ce que tu voulais dire par là, mais je crois que c’était important, alors promis, je vais être pudique.

Un jour, je t’ai demandé qui était Dieu pour toi. On était en train de peindre, c’était un après-midi, et c’est sans doute la seule fois où j’ai senti que je t’avais contrarié. Je ne sais plus dans quels termes exactement tu as formulé ta réponse, mais j’ai compris que la question te semblait indiscrète (ou en tous cas inappropriée au lieu et à l’instant). Le dimanche suivant, pendant l’homélie, tu as dit « il y a quelques jours, quelqu’un m’a demandé à brûle-pourpoint qui était Dieu pour moi. Fondamentalement, je crois que pour moi, Dieu est Amour ». Une autre fois, je t’ai demandé comment tu arrivais à t’y retrouver entre l’Islam et le Catholicisme, comment tu faisais pour savoir et être sûr que tu étais catholique et pas musulman. Je me souviens de deux réponses différentes, ce qui doit signifier que j’ai probablement posé la question au moins deux fois. La première réponse c’était celle-là : « Tu dois comprendre que pour un musulman, Dieu-fait-homme, c’est complètement inimaginable, parce que c’est complètement sacrilège. Le Dieu des musulmans ne peut simplement pas être homme, c’est intellectuellement antinomique. Et maintenant que tu sens bien au fond de toi tout ce qu’il y a d’impensable dans cette idée de Dieu-fait-homme, maintenant tu dépasses ce paradoxe. Et c’est pour ça que notre religion est très belle ». La deuxième réponse était différente, tu as dit « Quelle que soit la religion qu’on choisit, il faut être convaincu(e) qu’on ne trouvera jamais Dieu tout(e) seul(e). Si on veut avoir une vraie chance de trouver Dieu, ou en tous cas, de diriger vraiment notre vie vers Lui, il faut choisir une tradition religieuse. Et une fois qu’on l’a choisie, il faut mettre ses pas dans les pas de ceux qui nous ont précédé(es), dans cette même recherche. » Je crois que tu as utilisé la métaphore du « self-service » dans lequel on trouve, à-peu-près, à-peu-près-tout, mais rarement quelque chose de précis ou de précieux. Tu as dit que la religion ne pouvait pas être construite par chacun de bric et de broc en prenant un peu par-ci et un peu par-là, ou alors on n’obtiendrait que du bricolage et rien de bien solide.

Un autre jour, j’étais tiraillée entre quelque chose que je pensais être juste, mais qui blessait quelqu’un et quelque chose qui ne blesserait pas cette personne mais qui était injuste. Tu m’as répondu en souriant que j’avais un « côté Antigone ». Par la suite cette « blague d’Antigone » est revenue plusieurs fois entre nous. Maintenant que j’y repense, je me dis que j’ai largement dépassé l’âge où Antigone est censée mourir dans l’histoire. J’aimerais que tu sois encore là pour m’éclairer quand j’ai l’impression qu’aucun choix n’est vraiment moralement satisfaisant. Je me souviens des moments de prière partagée, à l’heure des vêpres, à l’église de la Chaulme. Et bien sûr du Magnificat, qui restera toujours pour moi la prière que je tiens d’Étienne. Quand tu disais « Le puissant fit pour moi des merveilles », je crois que c’était vrai. Dans mon souvenir, il suffisait que tu le dises pour que effectivement, le monde semble soudain plus merveilleux. Je me souviens de jours à t’attendre, l’été à Chenereilles. Encore combien de jours avant qu’Étienne arrive ? Et Geneviève répondait « encore trois jours », « Encore deux jours », « un jour ». Je me souviens du jour où tu devais arriver : c’est aujourd’hui, oui mais le matin ou l’après-midi ? . Je me souviens que parfois ça agaçait Geneviève « On ne sait pas à quelle heure exactement, probablement en milieu de journée ». Oui mais à partir de quand c’est le milieu de la journée ? Je me souviens de t’avoir attendu au bord de la route, avec Natacha et Charlotte. On avait cueilli des provisions de fleurs pour les lancer vers ta voiture quand tu passerais, ça serait une « pluie de fleurs ». On aimait bien l’expression. Je me souviens d’Étienne-magicien, capable de dessiner n’importe quoi et surtout d’un cheval en carton en forme de jolly jumper pour notre théâtre d’ombres chinoises du 15 août.

J’ai finalement eu le courage d’ouvrir le livre qui m’avait été offert je ne sais plus quand : Étienne Renaud, la passion du dialogue. Dans tous ces témoignages beaucoup trop « adultes » et trop « spécialisés » pour que je t’y retrouve vraiment, parfois entre deux lignes, tout à coup tu es là, comme dans cet évangile d’Emmaüs qu’on a lu à tes obsèques. Quand les disciples ne comprennent rien à ce qu’on leur raconte, jusqu’à ce que soudain, ils reconnaissent celui qu’ils aimaient. « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? ». En lisant hier la blague du « sorry I don’t speak english », j’ai entendu ta voix et ton rire.

J’ai retrouvé la liste des psaumes que tu nous avais donnée, à Christophe et à moi, au moment de notre mariage. Je la retranscris ici :

Quelques psaumes qui me plaisent bien
Ps 23 Le Seigneur est mon berger
Ps 139 Dieu tu me sondes et tu me connais
Ps 34 je bénirais le Seigneur en tous temps – Confiance
Ps 51 Prière pour demander pardon
Ps 131 Seigneur mon cœur n’est pas hautain – Esprit d’enfance
Ps 130 Prière d’appel – le « De profondis »
Ps 127 Abandon entre les mains de Dieu – Si le Seigneur ne bâtit la maison…
Belles choses dans le très long ps 119 sur la loi de Dieu
Ps 116 Action de grâces
Ps 84 Prière pour la paix Etc…
(Il s’agit des numéros de la Bible. Dans le missel, il y a parfois une différence de 1).

Châtillon Coligny, le 26 mars 2020
Marie Baltzinger-Carrelet


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