In memoriam Etienne RENAUD


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Chemin d'intériorité - retraite ICM 2011


Pour faire face à toutes les nécessités de la vie, nous sommes souvent amenés à vivre à la surface de nous-mêmes : besoins de la famille, travail professionnel, les transports, la télévision, les médias… nous mobilisent en permanence. Nous avons un besoin urgent de retrouver le chemin de notre être profond. L'intériorité est le grand défi de notre époque.

Voici, sur le thème de l'intériorité, une anthologie de textes qui appartiennent aux grandes traditions religieuses de l'humanité. Les extraits proposés ici ne sont pas faits pour être lus à la suite, mais bien pour être médités selon l'appel et le goût du moment.

Nous commencerons par quelques citations d’une juive hollandaise Etty Hillesum (p. 3) puis par la tradition bouddhiste avec quelques pensées du dalaï-lama (p. 4-5). L'islam nous offrira ensuite un texte d'un soufi (p. 6). Dans la tradition chrétienne, après un texte de Grégoire de Nysse, un Père de l'Église (p. 7), et un extrait des mystiques rhénans (p. 8), nous mentionnerons l’Imitation de Jésus-Christ (p. 9). Puis ce sera saint Bernard (p. 10) et saint Jean-Baptiste de la Salle (p. 12). Après un texte du jésuite Yves Raguin (p. 12), la tradition carmélitaine (p. 13-16) sera introduite par le père Marie Eugène.


Etty Hillesum

Vivre totalement au dehors comme au dedans, ne rien sacrifier de la réalité extérieure à la vie intérieure, pas plus que l'inverse, voilà une tâche exaltante. (Une vie bouleversée, Seuil, 1985, p. 39)

Ah, tu sais, quand on n'a pas en soi une force énorme, pour qui le monde extérieur n'est qu'une série d'incidents pittoresques incapables de rivaliser avec la grande splendeur (je ne trouve pas d'autre mot) qui est notre inépuisable trésor intérieur, alors on a tout lieu, ici, de sombrer dans le désespoir. (p. 82)

Être à l'écoute de ce qui monte de soi. (p. 90)

Se laisser guider, non plus par les incitations du monde extérieur, mais par une urgence intérieure. (p. 96)

J'élève la prière autour de moi comme un mur protecteur plein d'ombre propice, je me retire dans la prière comme dans la cellule d'un couvent et j'en ressors plus concentrée, plus forte, plus « ramassée ». Cette retraite dans la cellule bien close de la prière prend pour moi une réalité de plus en plus forte, devient aussi plus simple. Cette concentration intérieure dresse autour de moi de hauts murs entre lesquels je me retrouve et me rassemble échappant à toutes les dispersions. (p. 113)
Chez moi, tout va de l'intérieur vers l'extérieur, et non l'inverse. (p. 122)

Dans ce monde saccagé, les chemins les plus courts d'un être un autre sont les chemins intérieurs. (p. 163)
Ce qu'il y a de plus profond en moi, et que, pour plus de commodité, j'appelle Dieu. (p. 171)

Ma vie n'est qu'une perpétuelle écoute « au-dedans » de moi-même, des autres, de Dieu. Et qu
and je dis que j'écoute « au-dedans », en réalité c'est plutôt Dieu en moi qui est à l'écoute. Ce qu'il y a de plus essentiel et de plus profond en moi écoute l'essence et la profondeur de l'autre. Dieu écoute Dieu. (p. 195)

…Quand, au terme d'une évolution longue et pénible, poursuivie de jour en jour, on est parvenu à rejoindre en soi-même ces sources originelles que j'ai choisi d'appeler Dieu… (p. 212).



Dalaï Lama

La révolution intérieure que je préconise n’est pas une révolution religieuse… J’en suis arrivé à la conclusion qu’il n’importait guère qu’un être soit croyant ou non : il est plus important qu’il soit bon.

Qu’ils nous viennent du dehors, comme les guerres, la violence et le crime, ou qu’ils se manifestent au-dedans de nous sous forme de souffrances psychologiques et affectives, nos problèmes resteront sans solution aussi longtemps que nous continuerons d’ignorer notre dimension intérieure. C’est cette ignorance qui explique qu’aucun des grands idéaux mis en œuvre depuis plus de cent ans - démocratie, libéralisme, socialisme - n’ait réussi à apporter les avantages universels qu’ils étaient censés procurer. À n’en pas douter, une révolution s’impose. Mais pas une révolution politique, économique ou même technique. Ce siècle en a connu assez pour que nous sachions désormais qu’une approche purement extérieure, aussi utile soit-elle, ne saurait suffire. Ce que je propose est une révolution intérieure.

Nous voici à une époque où, de façon générale, nous avons atteint un état de développement matériel et technologique que l’humanité n’a jamais connu jusqu’à ce jour. Outre qu’il faille utiliser cette capacité à maîtriser les éléments extérieurs à des fins altruistes, il convient aussi de l’accompagner d’un développement intérieur, d’une maîtrise de l’esprit, sans laquelle jamais notre humanité ne pourra connaître la sérénité et la paix véritable.

Pour moi, le développement intérieur prend racine dans l’amour, la compassion, la patience, la tolérance, dans une attitude sans attachements ni désirs excessifs. Toutes les grandes religions délivrent ce même message spirituel, d’où il découle qu’elles doivent éprouver du respect mutuel les unes pour les autres.

La spiritualité demande beaucoup d’efforts au fil d’un processus de transformation et de familiarisation progressif destiné à habituer l’esprit à une nouvelle façon de sentir le monde. Ainsi se développera une force intérieure allant de pair avec la joie intérieure, la sérénité.

Une parole tibétaine dit : « Le témoin intérieur compte plus que le témoin extérieur ». Ce qui signifie qu’il vaut mieux être en harmonie avec sa conscience qu’avec le témoin extérieur qui nous regarde et nous juge. C’est pour cela que nous devons nous imposer cette discipline qui consiste à agir au sein de la communauté de telle façon que nous n’ayons rien à nous reprocher vis-à-vis de notre témoin intérieur. C’est à cette condition que nous serons entièrement satisfaits de nous-mêmes.
En Occident, il y a une insistance extrême sur l’idée que la source du bonheur réside à l’extérieur de nous-mêmes, dans les objets extérieurs. Il nous faut réaliser que la paix véritable, le bonheur et la joie viennent de l’intérieur de nous-mêmes et cesser de le chercher avec obsession à l’extérieur de nous-mêmes. Dès qu’on parle d’intériorité dans le bouddhisme, l’obstacle principal est le désir que notre esprit a pour les choses extérieures.

La liberté intérieure que nous atteindrons dépend du degré de liberté intérieure que nous aurons acquis. Si telle est la juste compréhension de la liberté, notre effort principal doit être consacré à accomplir ce changement en nous-mêmes.



Abu l-Hasan al-Nûrî, soufi de Bagdad

« Sache que Dieu a créé à l'intérieur du croyant une maison qui s'appelle le cœur. Il a soulevé un vent venant de Sa générosité pour purifier cette maison de l'associationnisme, du doute, de l'impiété et de l'esprit de division. Puis Il a envoyé une nuée venant de Sa bonté pour pleuvoir sur cette maison et y faire pousser toutes sortes de plantes, comme la certitude, l'abandon, la pureté d'intention, la crainte, l'espérance et l'amour. Puis Il a placé au fond de cette maison le divan de l'unicité sur lequel Il a étendu le tapis du contentement ; Il a planté en face de la maison l'arbre de la connaissance mystique, arbre dont les racines s'enfoncent dans le cœur du croyant tandis que ses branches s'élèvent dans le ciel (14, 24) au-dessous du Trône ; à la droite de l'arbre Il a placé un divan et à sa gauche un accoudoir, formée de ces lois, puis Il a ouvert dans le cœur une porte donnant sur le jardin de Sa miséricorde ; jardin dans lequel Il a planté toutes sortes de plantes aromatiques comme la louange, l'action de grâces, la glorification et la répétition de Son souvenir ; puis Il a fait couler du fleuve de Sa bonté une eau venant de l'océan de la bonne direction pour arroser toutes ces plantes. Il a suspendu dans la maison une lampe d'entre les lampes de Sa bonté du côté de la porte supérieure, l'allumant à huile de la justice et faisant briller sa lumière par la lumière de la piété ; puis Il a verrouillé sa porte pour empêcher toute détérioration et a gardé sa clé par-devers soi, ne voulant confier sa garde à aucune de Ses créatures… Puis le Seigneur a proclamé : « ceci est mon trésor sur terre, le foyer de mon regard, l'habitacle de mon unicité, et c'est moi l'habitant du lieu ». Quel excellent habitant pour une si excellente demeure ! ».

(Paul Nwyia, Exégèse coranique et langage mystique, Beyrouth, Dar El-Machreq, 1991, p. 325).



Grégoire de Nysse

L'homme intérieur, que le Seigneur appelle « le cœur », lorsqu'il aura enlevé les taches de rouille qui altéraient et détérioraient sa beauté, retrouvera la ressemblance de son modèle, et il sera bon. Car ce qui ressemble à la bonté est nécessairement bon.

Donc celui qui se voit lui-même découvre en soi l'objet de son désir. Et ainsi celui qui a le cœur pur devient heureux parce que, en découvrant sa propre pureté, il découvre, à travers cette image, son modèle. Ceux qui voient le soleil dans un miroir, même s'ils ne fixent pas le ciel, voient le soleil dans la lumière du miroir aussi bien que s'ils regardaient directement le disque solaire. De même vous, qui êtes trop faibles pour saisir la lumière, si vous retournez vers la grâce de l'image établie en vous dès le commencement, vous possédez en vous-même ce que vous recherchez.

La pureté, en effet, la paix de l’âme, l'éloignement de tout mal, voilà la divinité. Si tu possèdes tout cela, tu possèdes certainement Dieu. Si ton cœur est exempt de tout vice, libre de toute passion, pur de toute souillure, tu es heureux, car ton regard est clair. Purifié, tu contemples ce que les yeux non purifiés ne peuvent pas voir. L'obscurité qui vient de la matière a disparu de tes regards et, dans l'atmosphère très pure de ton cœur, tu distingues clairement la bienheureuse vision. Voici en quoi elle consiste : pureté, sainteté, simplicité, tous les rayons lumineux jaillis de la nature divine, qui nous font voir Dieu.

(Homélie sur les Béatitudes, Bréviaire, III, p. 224)



Jean Tauler

C'est dans le fond (grunt) de l’âme que le Père du ciel engendre son Fils unique, 100 000 fois plus vite qu'il ne faut pour cligner de l'œil, d'après notre manière de comprendre, dans le regard d'une éternité toujours nouvelle, dans l’inexprimable resplendissement de lui-même. Si quelqu'un veut sentir cela, qu'il se tourne vers l'intérieur, bien au-dessus de toute l'activité de ses facultés extérieures et intérieures, au-dessus des images et de tout ce qui lui a jamais été apporté du dehors, et qu’il se plonge et s'écoule dans le fond. La puissance du Père vient alors, et le Père appelle l’homme en lui-même par son Fils unique, et tout comme le Fils naît du Père et reflue dans le Père, ainsi l'homme, lui aussi, dans le fils, naît du Père et reflue dans le Père avec le Fils, devenant un avec lui…

Le Saint-Esprit se répand alors dans une charité et une joie inexprimables et débordantes, et il inonde et il pénètre le fond de l'homme avec ses aimables dons.


(Sermons, Paris, Cerf, 1991, p. 219)




L’imitation de Jésus-Christ

Écrite originellement en latin au XVe siècle par le courant des frères de la vie commune et attribuée à Thomas a Kempis, (mort en 1471), elle est l'ouvrage le plus connu de ce que l’on a appelé la devotio moderna. L’âme du fidèle est habitée par le Christ. Il n'est donc plus question, comme le voulait la spiritualité médiévale, de se fondre en Dieu en s'élevant vers lui, mais d'une démarche qui en est tout à fait l'inverse puisque c'est le Christ qui vient habiter le chrétien et que ce dernier exerce une action là où il se trouve, sur terre. Cette devotio moderna se traduit par une individualisation et une intériorisation de la vie spirituelle.

Ainsi le livre II s'intitule : Instructions pour avancer dans la vie intérieure. Et le chapitre premier a pour titre De la conversation intérieure.

Le royaume de Dieu et au-dedans de vous, dit le Seigneur. Revenez à Dieu de tout votre cœur, laissez là ce misérable monde et votre âme trouvera le repos.

Apprenez à mépriser les choses extérieures et à vous donner aux intérieures, et vous verrez le royaume de Dieu venir en vous. Car le royaume de Dieu est paix et joie dans l'Esprit Saint ; ce qui n'est pas donné aux impies.

Jésus-Christ viendra à vous et il vous remplira de ses consolations, si vous lui préparez au-dedans de vous une demeure digne de lui.

Toute sa gloire et toute sa beauté est intérieure. C'est dans les secrets du cœur qu'il se plaît.

Il visite souvent l'homme intérieur, et ses entretiens sont doux, ses consolations ravissantes ; sa paix est inépuisable, et sa familiarité incompréhensible. Âme fidèle, hâtez-vous donc de préparer votre cœur pour l’époux, afin qu'il daigne venir et habiter en vous.



Saint Bernard

Ses voies étant interdites à nos investigations, vous me demanderez comment j'ai pu connaître sa présence. C'est qu'il est vivant et actif : à peine était-il en moi qu'il tira du sommeil mon âme assoupie. Mon cœur était dur comme la pierre et malade ; il l'a secoué, amolli et blessé. Il se mit aussi à sarcler, à arracher, à construire, à planter, arroser les terres arides, à éliminer les endroits obscurs et à ouvrir les chambres closes, à embraser les parties glacées ; mieux encore, il redressa les voies tortueuses et aplanit les terrains raboteux, tant et si bien que mon âme bénit le seigneur et que tout moi-même se prit à chanter les louanges de son saint Nom.

Vous voyez bien que le Verbe époux, qui est entré en moi plus d'une fois, ne m'a jamais donné aucun signe de son irruption, que ce soit par la voix, par l'image visuelle ou par toute autre approche sensible. Aucun mouvement de sa part ne m'a signalé sa venue, aucune sensation ne m'a jamais averti qu'il se fut insinué dans mes retraites intérieures. Ainsi que je viens de le dire, j'ai compris qu'il était là à certains mouvements de mon propre cœur : la fuite des vices et la répression de mes appétits charnels m'ont fait connaître la puissance de sa vertu. La mise en discussion ou en accusation de mes sentiments obscurs m'a conduit à admirer la profondeur de sa sagesse ; l'amendement, si minime fut il, de ma manière de vivre m'a donné l'expérience de sa douce bonté ; à voir se rénover et se réformer mon esprit, je veux dire l'homme intérieur en moi, j'ai perçu quelque chose de sa beauté, et enfin, l'excès de sa grandeur, à considérer tout cela ensemble, m'a jeté dans la stupéfaction.

(Œuvres mystiques, Paris, Seuil 1953, 74e sermon sur le Cantique, p. 766).



Saint Jean-Baptiste de la Salle


IIe point. Non seulement vous êtres dans une maison d'oraison ; mais vos corps mêmes sont des maisons d'oraison. « En effet, ne savez-vous pas, dit saint Paul, que vos corps sont les temples du Saint-Esprit, qui réside en vous, et qui vous a été donné de Dieu, et que vous n'êtes plus à vous-mêmes car vous avez été rachetés d'un grand prix ». D'où saint Paul conclut : « Glorifiez donc et portez Dieu dans vos corps » (1Co 6,19-20), si vos corps sont des maisons d'oraison. C'est dans le même esprit et dans ce sentiment que le même saint Paul vous conjure, dans un autre endroit, par la miséricorde de Dieu, de lui offrir vos corps comme une hostie vivante, sainte et agréable à ses yeux.

Pensez-vous quelquefois quel bonheur c'est pour vous de ce que le Saint-Esprit réside dans vos corps comme dans son temple, et de ce qu'il fait oraison en vous et pour vous ? Abandonnez-vous entièrement à ce divin Esprit, afin qu'il demande à Dieu, pour vous, tout ce qui vous conviendra pour le bien de votre âme et de ceux dont vous êtes chargés, et que vous n'agissiez que par lui.

IIIe point. Le Saint-Esprit, qui réside en vous, doit pénétrer le fond de vos âmes : c'est en elles que cet Esprit divin doit prier plus particulièrement. C'est dans l'intérieur de l'âme que cet Esprit se communique à elle, qu'il s'unit à elle, et qu'il lui fait connaître ce que Dieu demande d'elle pour être toute à lui. C'est là qu'il lui fait part de son divin amour, dont il honore les âmes saintes, qui ne tiennent plus à la terre ; et c'est alors qu'étant dégagées de toute affection aux créatures, il en fait son sanctuaire, les occupant toujours de Dieu, ne les faisant vivre que de Dieu et pour Dieu.

Puisque Jésus-Christ est votre médiateur et que vous ne pouvez aller à Dieu que par lui, suppliez-le qu'il soit toujours dans votre âme, pour le prier en elle et la conduire à lui, et que, faisant sa demeure en elle pour le temps, comme dans son temple, elle fasse ensuite sa résidence en lui pendant toute l'éternité.

(Méditations, À partir de Lc 19,41-47, p. 183-184)




Yves Raguin

C'est en leur faisant prendre conscience de leur propre vie intérieure que le Christ éveille ses apôtres au mystère de sa présence intérieure.

C'est à ce retour vers l'intérieur que le Christ invite ses disciples quand il leur dit qu'il est bon pour eux qu'il s’en aille. S'il ne s'en va pas, il ne pourra pas leur envoyer l'Esprit Saint qui est l'ultime intériorité de Dieu. (Vide et plénitude, Paris, Éditions Arfuyen, 2006, p. 26)

Dans la foi, le Christ se manifeste au fond de ma conscience comme celui qui me fait prendre conscience, à une plus grande profondeur, de la réalité de mon être dans sa relation à sa Source. (p. 28)

Le salut pour moi est le fruit d'une rencontre avec le Christ, fruit d'une action qui nous est commune. Je ne puis voir le salut comme si Dieu me sauvait de l'extérieur. Il me sauve en me faisant accéder à cette expérience intérieure d'assomption de mon être dans le Christ et du Christ en moi. Le salut est finalement cet état de réalisation de mon être profond dans le Christ. Cette réalisation, c'est l'expérience de l'amour. (p. 53)

Voilà la voie de la prise de conscience de la réalité intérieure de l'être humain. Il sait que le Christ est au fond de son être. Il avance donc en lui-même, se mettant en silence de parole et de pensée, se vidant de tout pour faire l'expérience de la profondeur de son être. C'est au bout du chemin, à la fin de la démarche, que le Christ se manifestera comme une conscience plus profonde que sa propre conscience. (p. 62)

Au cœur de moi-même, au centre le plus profond, j'ai perçu un autre centre, l'autre Centre, le Centre absolu qui est la source de tout par l'amour car il est amour. (p. 110)



Père Marie-Eugène, O.C.D.

La vie spirituelle est une intériorisation progressive.

Vers ce Dieu signalé ou découvert dans les profondeurs vont se porter toutes les ardeurs qui le désirent. Pour le voir et le trouver, l’âme va s'orienter et marcher vers les profondeurs d'elle-même. La vie spirituelle sera par excellence une vie intérieure ; la marche vers Dieu sera une intériorisation progressive jusqu'à la rencontre, l'étreinte, l'union dans l'obscur, en attendant la vision du ciel. En cette marche d'approche, chaque étape dans l'intériorisation sera une « demeure » qui marquera en fait un progrès dans l'union. Telle est la conception de la vie spirituelle que livre la vision du Château. Faisons la part de l'image et discernons la réalité et ses enseignements.

Dieu qui habite le palais des septièmes demeures est Amour. Or l'amour est toujours en mouvement pour se donner.
(Je veux voir Dieu, Venasque Éd. du Carmel, 1949, p. 32)

Ainsi s'établit le règne de Dieu dans l'âme et s'opère l'union transformante par l'envahissement de la grâce qui progressivement conquiert, transforme et soumet au Dieu intérieur. En se libérant des exigences extérieures des sens et des tendances égoïstes, en obéissant à des lumières et des motions de plus en plus spirituelles et intérieures, l’âme s'intériorise elle-même jusqu'à appartenir complètement à celui qui réside en la fine pointe d'elle-même. Tel est la vie spirituelle et son mouvement.

La marche, décrite par Sainte Thérèse, de l’âme à travers les diverses demeures, pour s'unir à Dieu dans les septièmes où il réside, est à peine un symbole, un symbole cependant, mais combien précis et riche d'enseignements.




Saint Jean de la Croix

Ô vive flamme d'amour,
comme vous me blessez avec tendresse,
dans le centre le plus profond de mon âme !

Puisque vous ne me causez plus de chagrin,
achevez votre œuvre, si vous le voulez bien,
déchirez la toile qui s'oppose à notre douce rencontre.

C'est dans la substance de l'âme, là où le sens et le démon ne peuvent pénétrer, que le Saint-Esprit célèbre cette fête de l'amour.

Ainsi tous les mouvements de l’âme sont divins ; bien qu'ils soient de Dieu, ils sont également d’elle ; car Dieu les accomplit, en elle et avec elle. L’âme ne fait que lui remettre sa volonté et son consentement.

Le centre de l’âme, c’est Dieu ; quand elle y arrive selon la capacité de son être, la force de son activité de ses inclinations, elle est parvenue à son centre le plus profond et le dernier qu'elle puisse atteindre en Dieu.

Ainsi pouvons-nous dire que par les degrés d'amour que l’âme gravit, nous pouvons compter les degrés toujours plus intimes du centre divin où elle pénètre, car plus l'amour est ardent, plus aussi il est capable d'unir l’âme à Dieu.

(Œuvres spirituelles, Paris, Seuil, 1947, Vive Flamme d’amour, p. 913 et 921)


Je connais la source qui coule et se répand,
quoi que ce soit de nuit !
Cette fontaine éternelle est cachée
mais comme je sais bien où elle est
quoi que ce soit de nuit !
Dans cette nuit obscure de cette vie
comme je connais bien, par la foi, la fontaine
quoi que ce soit de nuit !
Son origine, je l'ignore ; elle n'en a pas
mais je sais que tout être tire d’elle son origine
quoi que ce soit de nuit !
Je sais qu'il ne peut y avoir chose plus belle,
que la terre et les cieux vont s'y abreuver,
quoi que ce soit de nuit !
Je sais bien que c'est un abîme sans fond
et que personne ne peut y passer à gué
quoi que ce soit de nuit !
Sa clarté n'est jamais obscurcie
et je sais que toute lumière vient d’elle
quoi que ce soit de nuit !
Je sais que ses eaux coulent si abondantes
elles arrosent enfers, cieux et peuples,
quoi que ce soit de nuit !

(Œuvres spirituelles, Paris, Seuil, 1947, p. 1115)



Elizabeth de la Trinité

« Demeurez en moi ». Demeurez en moi, non pas pour quelques instants, quelques heures qui doivent passer, mais demeurez de façon permanente, habituelle… Pénétrez toujours plus avant dans cette profondeur. C'est bien là vraiment « la solitude ou Dieu veut attirer l'arme pour lui parler », comme le chantait le prophète (Osée 2, 14).

Mais pour entendre cette parole mystérieuse, il ne faut pas s'arrêter pour ainsi dire à la surface, il faut entrer de toujours plus en l’Être divin par le recueillement.

« Le royaume de Dieu et au-dedans de vous ».

À cette âme qui vit au-dedans peuvent s'adresser les paroles du Père Lacordaire à Sainte Madeleine : « ne demandez plus le Maître a personne sur la terre, a personne dans le ciel, car lui c'est votre âme, et votre âme, c’est Lui ».
« Hâte-toi de descendre, car il faut que je demeure aujourd'hui en ta maison » Lc 19, 5.

(Œuvres complètes, Paris, Cerf, 1991, Le ciel dans la foi, p. 102)




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